dimanche 17 mai 2015

Dr Michel Quéméré. L'exercice libéral de la médecine en question

Le Dr Michel Quéméré, médecin généraliste (orientation homéopathie), a fermé son cabinet du Braden à Quimper le 30 juin 2014. Bien qu'en ayant cherché il n'a pas trouvé de successeur. Et pourtant il offrait de céder gratuitement sa clientèle, ses livres, son matériel. Il livre un témoignage saisissant sur le métier. Interview.






Pourquoi une telle situation ?

«Achevant ma carrière, j'ai laissé mon cabinet en déshérence, avoue-t-il. Dès février 2014, j'ai invité mes patients à chercher un médecin généraliste. Beaucoup m'ont révélé leur difficulté à en trouver qui accepte de nouveaux patients.
Sur 175 nouveaux médecins inscrits, en 2013, au Conseil de l'Ordre du Finistère, 6 ou 7 se sont installés. Les autres sont remplaçants ou salariés. Il y a chez beaucoup, avec une autre vision de la vie, le souhait de ne pas travailler à plein temps (70 % des étudiants qui présentent leur thèse sont des femmes). Chez les hommes aussi, on ne veut pas travailler comme un fou !
Si je suis remplaçant, je n'ai pas de loyer, pas de taxe professionnelle ou apparentée. J'échappe à la paperasse. La « sécu » me fiche la paix. J'ai des congés payés. Pour les médecins libéraux, la retraite aujourd'hui est à 67 ans. Avec le statut salarié, c'est 62 ou 63 ans.

Malgré son côté prestigieux et le relationnel agréable, ce métier n'attire plus. De nombreux médecins dévissent leur plaque vers la cinquantaine. C'est trop de contraintes. La consultation à 23€ n'a pas bougé depuis des années. Et avec le tiers payant généralisé, on va accentuer le côté prestataire de service. »



Nous allons vers une raréfaction de l'offre de soins libérale ?

« Tout à fait ! Si on regarde le nombre de médecins à Quimper qui ont plus de 60 ans, on peut projeter que dans deux trois ans, ça va exploser ! Les gens se tourneront vers SOS Médecins et les urgences de l'Hôpital dont ce n'est pas la vocation. »
 







Que proposez-vous ?

« Ma solution c'est de composer, de manière pragmatique, avec l'itinérance des médecins. Pour désengorger l'hôpital, on peut imaginer un dispensaire d'accueil de jour, équipé de dix salles d'examens, où se relaieraient cinq ou six médecins salariés, avec un turn-over de jeunes remplaçants. Le sur-dimensionnement des locaux serait délibéré pour pouvoir gérer, le cas échéant, une épidémie.

Un jeune pourrait décider d'y travailler, comme bon lui semble, trois jours par semaine et se dire « j'ai un endroit où j'ai ma place, où je peux bosser, où je suis utile à la cité. Et si je suis femme médecin je peux m'occuper de mes enfants.  »

Le sujet n'est nouveau. Il y a des gens payés pour y réfléchir. Mais ça n'avance pas ! Mon intervention vise juste à faire bouger les lignes. Et je me retire aussitôt du débat. Il va falloir mener une réflexion active vers un projet expérimental, des réunions pluripartites avec la mairie, le Conseil général. Il faut ouvrir le débat à Quimper, y compris aux gens de gauche, avec les instances professionnelles, SOS Médecins, l'ARS (agence régionale de santé), le Conseil de l'Ordre, etc... »


vendredi 15 mai 2015

André Stern. L'enthousiasme, une clef !



Journaliste, écrivain, conférencier, luthier, musicien, né en 1971, fils du chercheur et pédagogue Arno Stern, André Stern a grandi en dehors de toute scolarisation. 




 
 

Nommé Directeur de l’Initiative « des hommes pour demain » par le Professeur Dr. Gerald Hüther, chercheur en neurobiologie avancée, André Stern est initiateur des mouvements « écologie de l’éducation » et « écologie de l’enfance ». Il est aussi directeur de l’Institut Arno Stern (Laboratoire d’observation et de préservation des dispositions spontanées de l’enfant).

     
« Nous venons au monde avec la faculté omniprésente d’apprendre. Et si l’enthousiasme était la clé de l’apprentissage ? » évoque Laure Doupeux, l'une des responsables de l'association Les Semeurs d'Ecoles, présentant le conférencier André Stern, lors de son intervention, vendredi 17 avril 2015, au Lycée de Kérustum de Quimper, devant 170 auditeurs.

En marge de l'événement, André Stern répond aux questions de Persona.



Pour se référer à votre conférence sur le thème de l'enthousiasme -que vous qualifiez d'« engrais pour notre cerveau »-, pourquoi serait-il plus pertinent de développer des compétences que de combler des lacunes ?

Je ne mets pas ces deux notions en opposition. Je n'ai jamais considéré la lacune comme un monstre honteux, ainsi qu'on l'a placée dans l'ordre de la société, mais comme un espace libre pour de nouvelles connaissances. Et si je qualifie l'enthousiasme d'  « engrais pour le cerveau », ce n'est pas moi qui l'ai fait, mais la neuro-biologie la plus poussée. Elle a découvert que notre cerveau se développe là où nous l'utilisons avec enthousiasme.

Pendant de nombreuses années, on a pensé que le cerveau était génétiquement programmé. Les parents moyennement intelligents auraient eu des enfants moyennement intelligents et les parents bêtes des enfants bêtes... Et puis, il y a quelques années, on a constaté que la zone du cerveau responsable des mouvements du pouce est sur-développée chez les jeunes de nos jours. On s'est dit que si l'usage des SMS est capable de développer une zone du cerveau, on pouvait dire que le cerveau n'est pas génétiquement programmé mais qu'il se développe selon l'usage qu'on en fait, un peu comme un muscle. On a alors inventé des programmes de « musculation cérébrale » qui n'ont pas marché. Les chercheurs et les pédagogues qui travaillaient ensemble à l'époque -plus maintenant- se sont trouvés devant une question poignante : « Pourquoi ce qui marche si bien pour les SMS ne marche pas pour les mathématiques ? » C'est alors qu'on a effectué la découverte du millénaire : notre cerveau se développe là où nous l'utilisons avec enthousiasme. Au bout de longs filaments, des neuro-transmetteurs agissent comme de l'engrais. C'est visible. C'est mesuré. Vivre ses enthousiasmes, c'est le chemin direct vers la compétence.

Un enfant de deux à trois ans vit une tempête d'enthousiasme toutes les deux à trois minutes. Nous autres adultes c'est deux à trois fois par an. Plutôt que de craindre nos lacunes, vivons donc nos enthousiasmes ! Et quand on s'enthousiasme pour quelque chose, on devient magnétique pour la connaissance et du coup ce n'est pas une démarche négative mais une démarche de construction par le magnétisme de l'enthousiasme.



Votre expérience, dites-vous, n'est pas transposable en un modèle. Qu'est-ce qui fait qu'elle a bien fonctionné pour vous et quels en sont les mots clés ?

Je dis que ce n'est pas transposable, parce que je ne cherche pas à en faire une méthode, ou à vendre quoi que ce soit. Mais cette attitude dans laquelle j'ai grandi (NDLR : en dehors de toute scolarisation) qu'on appelle « l'écologie de l'enfance » est possible à chacun. Et les mots clefs de ce cheminement sont les dispositions spontanées de l'enfant : l'enthousiasme, la capacité au jeu, l'ouverture d'esprit et l'appétence au monde dans sa diversité.



Vous affirmez « l'enfant n'a pas besoin qu'on lui fixe de limite ». Cela veut-il dire que vous n'en fixez aucune à votre propre fils ?

Cette manière de se positionner face à l'enfant en lui disant de manière très supérieure « Je te fixe une limite !», cette manière là est obsolète. Quand il y a relation de confiance et de sincérité mutuelle, l'enfant est en confiance et n'a aucun problème avec le fait qu'on lui dise non, si le non n'est pas majoritaire (NDLR : dans le discours).

Mon fils Antonin a découvert que les voitures s'arrêtent au feu rouge. Vous auriez vu sa tête le jour où une voiture est passée au rouge. Cela montre bien combien cette orientation est importante. Ce n'est pas une limite que je lui fixe hiérarchiquement, dans une relation de pouvoir. Moi qui suis de l'autre côté du miroir, ça me choque beaucoup qu'on mette des limites autoritairement dans un rapport de pouvoir, alors que c'est dans un rapport de confiance où la limite n'en est pas une, mais une orientation primordiale pour l'enfant. Pour autant je réfute dans le vocabulaire le mot latitude. On ne peut pas dire que je parle de laisser faire et de l'enfant livré à lui-même.



L'Education Nationale, selon le chroniqueur Emmanuel Davidenkoff (1), cale son organisation sur « les besoins et les capacités -supposés- de « l'élève moyen ». Or, poursuit-il « l'élève moyen » n'existe pas. Que vous inspire ce mythe du « moyen » ?

J'aime beaucoup cette phrase et j'apprécie Emmanuel Davidenkoff que j'ai rencontré dans le cadre d'une émission sur France Info. Alors, la moyenne repose sur cette habitude qu'on a de mettre des gens comparables ensemble et de les amener à se comparer. Je ne veux pas faire une critique de l'Education Nationale. Je laisse ça à d'autres, et ce n'est pas mon métier. Moi je montre tout ce qui serait possible. Ce qui conduit à se contenter de la moyenne cela m'est très étranger, parce que n'ayant jamais cherché où suis-je moyen, voire mauvais, voire médiocre. Par exemple, tu es mauvais en mathématiques, tu vas donc devoir travailler beaucoup beaucoup pour atteindre la moyenne... N'ayant jamais eu à faire ça, je ne suis jamais parti de ce que je ne sais pas mais de quoi suis-je bon. Si je suis bon, ce n'est pas un mérite personnel mais un effet secondaire de l'enthousiasme. Si je suis bon et que je m'entraîne davantage dans le domaine dans lequel je suis bon, je vais devenir encore meilleur. C'est une toute autre attitude. Quand on me demande si j'ai des lacunes, j'en ai d'énormes, de béantes, au moins autant que tous les autres. Mais je n'ai aucune honte à les avoir. Et dans les domaines où j'ai de l'enthousiasme je me sais très compétent. Et on boucle la boucle : la compétence lorsqu'elle est sincère, lorsqu'elle est vraie, lorsqu'elle est vécue, ouvre toutes les portes, passe toutes les barrières, nous libère des moyennes, de toutes ces notions qui conduisent à ce que nous ne soyons plus que des versions racornies de nous-mêmes. Ce n'est pas de moi. C'est de Gerald Hüther, ce professeur, ce neuro-biologiste allemand avec lequel je travaille qui, avec son éclairage du cerveau et de toute la biologie, en arrive à dire « on n'est qu'une version racornie de ce qu'on pourrait être, de ce que les enfants sont à la naissance. »



Pour un enfant de 44 ans, comme vous vous qualifiez, vous ne semblez être ni un enfant loup, ni un enfant roi. Quel a été le rôle de vos parents au début de votre vie ?

Le rôle de mes parents dure toute ma vie, dure encore. Et comme je me considère comme un enfant, le rôle de mes parents est primordial. C'était des élèves heureux qui n'avaient pas du tout à régler leurs comptes avec l'école ou qui diraient « on a souffert il ne faut pas que nos enfants vivent ça... » Non, pas du tout. Eux, ce n'était pas contre l'école, c'était pour quelque chose. Ils se sont décidés pour la disposition spontanée de l'enfant. Et donc ça décrit déjà une partie de leur attitude. C'était de donner à ma sœur et moi un feu vert général : « Ta disposition spontanée on lui donne un feu vert ! » Autrement dit nous rencontrer non pas dans la position du haut vers le bas, cette position condescendante (j'aime beaucoup ce mot à cause de sa construction). De nous dire « tel que tu es, tu es parfait ! » Cela ne veut pas dire « je suis sans défaut, sans erreur ». Non, c'est juste une question d'attitude. Ce feu vert général, c'est ce port d'attache extraordinaire duquel chaque enfant un beau matin fait son premier pas, beaucoup plus tôt qu'on ne le pense dans le vaste monde. Depuis toujours, et à l'heure qu'il est encore, dans mon cœur, dans mon esprit, ils sont là mes parents avec cette attitude face à moi qui me donnent ce feu vert général.



Précisément vous disiez « cette expérience, d'autres auraient pu la faire ». Mais est-ce que c'est totalement vrai dans la mesure où vous aviez des parents qui étaient quand même un peu éclairés ?

La seule chose qui différencie mes parents d'autres parents, c'est qu'ils se sont beaucoup informés sur la chose et qu'ils étaient partis dans une attitude différente. Ils se sont informés sur la chose non pas en lisant des livres, mais en vivant avec des enfants. C'est la seule différence, mais ce qu'ils ont décidé de faire, c'est de changer d'attitude, de changer de paradigme. Face à l'enfant, chacun en est capable à tout instant. Ce qui nous manque, c'est de l'information. D'où cette conférence de ce soir. Parce qu'à chaque fois qu'on fait voir aux parents qu'il y a d'autres possibilités, il y a au moins une chance d'y réfléchir. Tant qu'ils pensent qu'il n'y en a qu'une on ne peut pas les accuser de ne pas avoir pris de décision différente alors qu'ils ne savaient même pas qu'il y a d'autres choses possibles.


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http://andrestern.com
 

(1) Chronique d'Emmanuel Davidenkoff intitulée « Le mythe du « moyen » », dans l'Express du 15.04.2015.